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13 septembre 2013 5 13 /09 /septembre /2013 23:22

Hello l'Anjou...Fabrice croisé sur le 80 bornes du GRP 2010 nous livre le récit de sa course de 160km sur l'UT4M...A méditer...

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Ultra Tour des 4 Massifs

23 août 2013

Ou l’histoire extraordinaire d’un type ordinaire

 

Conseils de lecture : à lire d’une seule traite, sans dormir, avec une poignée d’abricots secs et un peu

d’eau à portée de main.

 

ACTE1

 

 

INTRODUCTION

Copain des Pyrénées. Un livre épais orné d’une couverture blanche. Dans les dernières pages, un

encart parle d’une course faisant l’aller-retour au sommet du Montcalm, sommet mythique des

Ariégeois. Mon regard de collégien se porte sur la photo illustrant l’article : on y voit un Russe,

vainqueur de l’épreuve, courant dans une pente caillouteuse en short et en débardeur. Un autre

monde.

18 ans : j’ai reçu un stage UCPA de 2 semaines en cadeau d’anniversaire, avec l’ascension du Mont

Blanc en point d’orgue. Parmi le groupe d’une douzaine de personnes, un résident de la Réunion qui

nous parle d’une traversée de l’île nommée la Diagonale des Fous. Les chiffres semblent irréels :

environ 160 km et 10 000 D+, non-stop. D’après mes vagues souvenirs, il évoque une préparation de

plusieurs années, un temps de course d’une quarantaine d’heures, une période de récupération de

plusieurs mois. Tout cela me semble tellement démesuré que je n’essaye même pas de me projeter

dans ce que peut représenter une telle course. C’est de toute façon réservé à des sportifs aguerris,

ayant choisi de ne vivre que pour cette échéance. Je ne suis pas concerné.

J’entre en stage chez Renault en septembre 2008. Rapidement, le changement de mode de vie se fait

sentir : moins de sport, des repas copieux au restaurant qui se multiplient, et une prise de poids

comme conséquence logique. Le déclic a lieu en janvier 2009, comme l’atteste encore aujourd’hui

mon carnet de santé. Je pointe à 75,5kg sur la balance de mon médecin. Je ne m’étais pas rendu

compte de l’ampleur du phénomène, et je suis surpris de la constater. Décision est prise de me

mettre à courir pour corriger cette dérive. La course, sport facile à pratiquer par excellence,

n’importe quand et n’importe où pour peu qu’on ait une paire de baskets.

Rapidement, je me fixe comme objectif de courir 3h30 par semaine. D’autant que je prépare pour la

2ème fois le Raid Centrale Paris dans une équipe sponsorisée par Total. Il ne faut pas décevoir

l’entreprise qui me paie l’inscription. La rencontre avec Tom, mon capitaine Total, sera

déterminante : après une semaine passée à ses côtés dans les chemins ardéchois, il me fait un

compliment qui me marque et me fait prendre conscience que j’ai un certain niveau sportif. Surtout,

quelques mois plus tard, il m’encourage à m’inscrire à un trail pour l’été 2010. En raison d’un

quiproquo, je me retrouve en réalité sur la ligne de départ de 2 courses à la fin août, qui constituent

mes premières expériences : le marathon du Montcalm (42 km / 2600 D+) et le Grand Raid des

Pyrénées (80 km / 5000 D+) la semaine suivante.

Je me souviens de la ligne de départ du marathon du Montcalm. Je n’ai absolument aucune idée de

ce que je vaux, du niveau des autres concurrents, de l’état dans lequel je vais finir la course : je pars

dans l’inconnu le plus total, à la découverte d’une discipline dont je me doute bien qu’elle me plaira.

Le verdict est cinglant : je me retrouve 5ème, meilleur jeune, avec 60 euros en liquide dans la main

droite et un saut en parapente offert dans la main gauche. Une révélation. La semaine suivante, c’est

la confirmation : 3ème sur le GRP, moi le gamin sans expérience qui débarque de ma région

parisienne.

Pour ne rien oublier de cette course, j’en écris le récit. Voici ma conclusion à l’époque :

« Cette première expérience sur longue distance restera évidemment une immense réussite. J’aurai

d’ailleurs beaucoup de mal à reproduire de telles performances et c’est peut-être ce qui risque d’être

le plus dur à supporter. Entrer dans le monde du trail par une 3ème place au Grand Raid des Pyrénées,

c’est aussi se contraindre à multiplier les remarquables performances pour ne pas être trop déçu à

l’avenir. Mes prochains défis me diront si l’enchaînement Montcalm / GRP conclu par deux

performances extraordinaires ne sont qu’un feu de paille ou si j’ai réellement les capacités de bien

figurer de façon durable sur de telles courses. »

Pourtant, le rêve qui est dans un coin de ma tête depuis que j’ai rempli mon premier bulletin

d’inscription, c’est le format suprême, l’ultra-trail, le vrai, l’immense : 160 km et 10 000 D+. À mes

débuts, j’ai deux courses en tête, les références mondiales : l’UTMB et la Diagonale des Fous. Je vois

le fait de participer et de terminer l’une de ces courses comme le but ultime de ma pratique sportive.

Une chose qui continue à me paraître inaccessible, comme en témoigne mon récit du GRP où nous

rejoignons, à notre 50ème km, les concurrents de l’ultra qui en ont 80 de plus dans les jambes :

« Il y a donc là plusieurs concurrents qui, eux, marchent depuis 24h de plus. Cette simple perspective

me laisse pantois et totalement admiratif quant à leur performance et leur résistance physique. Ils

sont tous de bonne humeur même si l’épuisement, voire la lassitude se lit sur les visages de certains.

Je discute avec eux, la plupart m’avouent ne pas avoir fermé l’oeil de la nuit. Comment font-ils ? Peutêtre

le découvrirai-je un jour, pour l’heure je me promets de ne jamais mettre les pieds dans une

épreuve aussi longue. »

Au fur et à mesure, mon envie évolue et s’affine. Certes, je veux boucler un jour un 160 / 10 000,

mais le gigantisme des 2 épreuves référence, notamment le nombre de partants (plus de 2 000), me

gêne. Pour poursuivre ma progression, je choisis l’Ultra Mitic d’Andorre à l’été 2011. Une course où

j’accroche une inoubliable 5ème place au milieu de mes copains et dont la beauté et la rudesse me

laissent des souvenirs impérissables.

Après un été 2012 vierge de grande course en raison d’une cheville fragile que je cherche à ménager,

je découvre sur internet l’épreuve qui sera ma première tentative sur la distance qui me fait rêver :

l’Ultra Tour des 4 Massifs, dont la première édition se tiendra en août 2013. Le concept me fascine :

au départ de Grenoble, aller chercher le point culminant des 4 grands massifs entourant la ville pour

finalement rejoindre le point de départ à l’issue d’environ 165 km et 10 000 D+. Au programme : le

pic Saint-Michel dans le Vercors (1 966 mètres), le Taillefer dans… le Taillefer (2 857 m), la Croix de

Belledonne dans Belledonne (2 926 m) et Chamechaude dans la Chartreuse (2 082 m). Par ailleurs, la

date est idéale : le 23 août, soit le dernier week-end de mes 4 semaines de vacances d’août, ce qui

me laissera le temps de me préparer en montagne durant les semaines qui précèdent.

Me voilà inscrit. Ne reste plus qu’à tout faire pour terminer l’épreuve. Peu importe le chrono, peu

importe le classement : finir.

 

PREPARATION

9 août 2013, J-14. Je me morfonds dans mon canapé, la cheville droite entourée par une poche de

glace. Il y a une semaine, alors que je randonnais dans les

Pyrénées pour habituer mes jambes à la montagne, elle a cédé

dans une descente à l’issue d’une journée de plus de 12h.

Quentin, qui m’accompagnait, m’a convaincu d’écourter la

randonnée pour rentrer au plus vite à Paris reposer l’articulation

souffrante. Malgré tous mes efforts, l’hématome ne dégonfle pas

et la douleur refuse de s’estomper. Pourtant, il faut y retourner :

les 6 jours dans les Pyrénées ne peuvent pas suffire à supporter

165 km de course.

C’est donc reparti, direction les Alpes, pour une reconnaissance du parcours de l’UT4M.

Paradoxalement, la reprise d’une activité physique est favorable à la cheville, qui dégonfle

rapidement dès les premières heures de marche. Le défi est désormais de faire en sorte qu’elle ne se

torde plus. Strapper, être attentif. Particulièrement attentif, car le moindre faux appui est fatal. J’ai

une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Toujours en compagnie de Quentin, la reconnaissance

s’effectue sans encombre. En 4 jours bien pleins… De quoi prendre conscience de l’ampleur du

parcours, dont le dénivelé annoncé est probablement sous-estimé. A l’issue des 4 jours, mon

ambition est plus claire que jamais : terminer serait un exploit, car l’effort demandé paraît

monstrueux et garder la lucidité suffisante pour ne pas me tordre la cheville semble être un défi

quasi-insurmontable.

Un jour de repos, et c’est reparti pour 4 jours de reconnaissance. Cette fois, c’est le parcours de

l’UTMB qui sert de cobaye. Nous sommes 5, et je galère en raison d’un coup de froid attrapé dans

l’intervalle. Dans une forme très moyenne, je souffre pour suivre le rythme et je ne profite que

partiellement de la beauté des paysages traversés. Malgré tout, dans le dur, je me force à continuer

pour apprendre à lutter sans renoncer, qualité qui me sera sans doute utile pendant la course.

Dimanche 18 août, début d’après-midi, Chamonix, fin de la préparation. J’ai devant moi 4 jours à

exploiter à plein pour me reposer, manger, dormir. C’est dans le gîte loué par ma soeur à Allemont

que j’atterris. Une randonnée modeste de 3h30 à J-2, un footing de 15 minutes à J-1, voilà mes

uniques activités de la semaine. Des pâtes, des siestes, de l’ordinateur. Retrait du dossard le jeudi

soir, dîner copieux en compagnie des potes : Quentin, Louis, Fanny et Boris. Au lit à 22h pour une

nuit pas si difficile.

Réveil 3h30, petit déjeuner, Quentin me strappe la cheville et m’amène au départ où je retrouve ma

soeur et Felix, son copain. Dans quel état d’esprit suis-je ? J’ai un bon pressentiment. Je me sens fort,

et confiant sur ma capacité à terminer. Nettement plus qu’à l’issue de la reconnaissance du parcours.

Le minuscule footing de la veille m’a suffi pour constater la puissance que j’avais dans les jambes. Les

500 km et 32 000 D+ avalés en 14 jours de préparation ont été bénéfiques, incontestablement.

 

GRENOBLE – SAINT-NIZIER : 13,4 km / 1 027 D+ / 18 D

Le départ, prévu à 5h, est donné avec quelques minutes de retard : les 437 coureurs s’élancent à

l’assaut des montagnes. Je suis en milieu de peloton et je cherche à profiter des premiers kilomètres

de plat dans Grenoble pour remonter. La traversée de l’agglomération se fait sans encombre, une

mise en route agréable sur l’herbe moelleuse des voies de tramway. Je suis loin des premiers mais je

ne force pas, gardant l’allure d’un footing économe. A l’issue de ces 5 km, la montée dans le Vercors,

premier des 4 massifs traversés, débute. Armé des bâtons prêtés par Esther et particulièrement

pratiques (légers, souples, main libre), j’alterne marche sur les portions pentues et course dès lors

que le chemin s’aplanit. Plusieurs coureurs choisissent de courir davantage que moi et je rétrograde

légèrement. L’envie de les suivre est forte, car évidemment après 30 minutes de course, j’aurais les

capacités à gambader dans n’importe quel pourcentage. Cependant, sachant ce qui nous attend, j’ai

la sagesse de ne pas me laisser embarquer. Chacun sa vie, chacun sa course, moi je marche quand ça

monte, c’est tout.

A un croisement avec la route, j’ai le plaisir de revoir Ophélie et Felix, qui m’encouragent. Ils ont prévu

de me suivre ainsi sur la quasitotalité  du parcours, ce qui sera pour eux presque aussi fatiguant

que pour moi. Nous montons régulièrement sur de larges chemins jusqu’à atteindre l’ancien tremplin de saut à ski. Le chemin, que nous avions cherché sous les herbes hautes lors de la reconnaissance du parcours, a été

dégagé : il s’agit même de marches, qui nous amènent au premier ravitaillement. L’ambiance au sommet de cet escalier est impressionnante : nombreux supporters qui crient, certains armés de cloches de vaches pour compléter le vacarme ambiant. On se croirait sur le Tour de France.

 

CP1 : SAINT-NIZIER

J’ai faim, je décide donc de faire un vrai arrêt pour me restaurer. Pain, jambon sec, fromage, coca,

tout y passe. Je profite également de la pause pour retirer et ranger ma frontale, sans me presser.

Nombreux sont les coureurs que je vois passer en attrapant à la volée quelque chose à grignoter.

Une fois mes affaires terminées, je repars à l’assaut du Moucherotte (1 901 m), point culminant de

notre parcours dans le Vercors. Vous l’aurez compris, le parcours a changé depuis l’époque où je

m’étais inscrit. L’idée des 4 points culminants a été abandonnée par les organisateurs au profit d’un

parcours moins ambitieux, privilégiant la sécurité des coureurs. Nous ne monterons pas au-dessus de

2 400 mètres. Je suis déçu de ces évolutions mais les dimensions de la course ont été conservées et

ce sont elles que j’étais venu chercher. Tant pis pour les panoramas et la haute montagne.

 

SAINT-NIZIER – COLLET DU FURON : 11,3 km / 858 D+ / 618 D-

Les pentes deviennent plus raides, les pistes deviennent des chemins, le sommet approche. J’avise le

dossard d’un coureur dont le nom m’évoque quelque chose. Bon signe, je ne dois pas être trop mal

placé. Je pose le pied au sommet du Moucherotte juste derrière la première féminine. Je prends le

temps d’admirer la vue. Le temps est magnifique et le panorama remarquable. Des bancs nuageux

recouvrent partiellement la vallée de l’Isère, le soleil se lève au-dessus de Belledonne. D’ici, je vois

tous les lieux que nous traverserons. Les contempler donne le tournis. Revenons au présent, il faut

malheureusement quitter ce merveilleux point de vue.

La descente se fait sur de larges pistes, d’abord caillouteuses puis herbues. Un régal, je cours sans

effort dans la fraîcheur de cette belle matinée. Tout d’un coup, j’entends le bruit sourd d’un objet qui

tombe dans mon dos. Je me retourne : ma lampe frontale est à terre ! Mon sac s’ouvre tout seul, et

voilà qu’en voulant le retirer pour ranger la frontale, tout son contenu se répand sur le sol !

Catastrophe ! J’avais réussi des prodiges de rangement pour parvenir à faire rentrer l’intégralité du

matériel obligatoire dans l’unique petite poche de mon sac, voilà tout mon travail de la veille réduit à

néant pendant que plusieurs concurrents me doublent allègrement. J’ai la lucidité de ne pas

m’exciter. Minutieusement, je replie chaque affaire de façon à reproduire le savant pavage qui avait

permis de tout faire tenir. A force de patience, j’y parviens. La première féminine, que j’avais

dépassée dans les premiers mètres de la descente, passe à mes côtés en me demandant si tout va

bien. Je lui réponds que oui. En effet, j’arrive au bout de mes peines : la bande adhésive, le surpantalon,

la veste à capuche, le sous-vêtement manches longues, le collant et la frontale ont repris

leur place. Le coupe-vent et la 2ème frontale sont toujours là. Le bonnet, les gants, la couverture de

survie et les piles de rechange également. Tout comme le paquet de mouchoirs, le téléphone, les

quelques barres de céréale de secours et les 2 bidons d’eau. Surtout, je ne refais pas l’erreur ayant

conduit à ce désastre : je place les fermetures éclair sur le côté du sac et non en haut, sachant

pertinemment que c’est ce positionnement mal réfléchi qui a conduit à l’ouverture de la poche

principale.

En remettant le sac sur le dos, je sens qu’il est moins bien agencé : un objet saillant vient m’appuyer

sur le dos. Tant pis, je continuerai ainsi. Pour l’heure je peux repartir et oublier ce désagrément.

Je redouble la première féminine et poursuis le cheminement qui oscille sur les crêtes du Vercors,

entre montées raides et descentes caillouteuses. Au fond de la vallée à droite, nous distinguons

nettement les nombreuses voitures garées en raison d’un festival techno organisé là. Le son nous

parvient aux oreilles, à peine atténué. Cette situation pour le moins originale est loin de me déplaire,

et le rythme entraînant des basses aide à garder la pêche dans les montées.

Une portion de descente réclame une attention particulière pour ma cheville. Je n’hésite pas à me

laisser doubler par un concurrent moins précautionneux, privilégiant la sécurité à la vitesse. Parvenu

dans la forêt, il ne reste plus qu’à dévaler quelques mètres pour rejoindre le collet du Furon, lieu du

2ème ravitaillement. J’aperçois de nouveau Ophélie et Felix qui m’encouragent dans ces derniers

mètres.

 

CP2 : COLLET DU FURON

Arrivé au poste de ravitaillement, je réclame un coca aux bénévoles présents en leur tendant mon

éco-tasse. Mon éco-tasse ? Mais où diable peut-elle bien être ? Equipée d’un mousqueton, je l’avais

attachée à l’une des bretelles de mon sac. Pourtant, elle n’y est plus. Il n’y a que peu de doute à

avoir : je l’ai oubliée à St-Nizier, précédent ravitaillement. Bien joué mon gars, ça commence bien.

Fort heureusement, les bénévoles ne sont pas obtus et acceptent d’utiliser leur provision secrète de

gobelets interdits pour m’abreuver. Merci. Je discute un peu avec Ophélie, grignote différents

ingrédients sucrés et salés, puis repars.

 

COLLET DU FURON – VIF : 15,7 km / 692 D+ / 1 836 D-

Un chemin plat en forêt permet de remettre les jambes en route, avant une montée plus raide vers

le col de l’Arc. Je suis toujours entouré de nombreux coureurs, sans véritable idée de mon

classement. Je me contente de courir aux sensations, sans me fatiguer, sans m’occuper des autres

pour le moment.

Au col de l’Arc (1 736 m) débute une longue descente raide vers St-Paul-de-Varces (388 m). Je

l’attaque prudemment, portant une attention particulière à l’endroit où je pose mon pied droit. J’ai

deux objectifs en procédant ainsi : conserver ma cheville, évidemment, mais également ne pas me

ruiner les cuisses en voulant descendre comme un chamois. Parvenu aux deux tiers de la descente

environ, je double un coureur arrêté sur le côté en se tenant la cheville. Il m’explique qu’il se l’est

tordue il y a un mois, et qu’il vient de récidiver. Le parallèle est troublant, voire inquiétant… Je lui

demande s’il va s’arrêter, il répond avec force que non. Son courage m’impressionne, et je lui

conseille de se faire strapper au prochain ravitaillement, avant de le laisser à son triste sort pour

terminer ma descente. Bigre, il va falloir redoubler d’attention…

Le reste de la descente se passe sans encombre et j’arrive sur le bitume de St-Paul-de-Varces. Les

premières foulées horizontales à l’issue de cette longue dégringolade sont laborieuses. Cette

difficulté ne manque pas de m’inquiéter : si j’ai déjà du mal à courir sur du plat, que va-t-il se passer

dans la fameuse et redoutée traversée de vallée de 10 km qui m’attend au 120ème km ? Je n’ose

penser au calvaire qu’elle représentera. Pour le moment, progressivement, je parviens à trouver une

foulée qui me permet d’avancer. Les premiers mètres difficiles étaient donc plutôt un problème de

transition, d’adaptation, ce qui me rassure. Je double même plusieurs concurrents moins efficaces

que moi sur cette portion de route. À la sortie du village, le chemin remonte. Le soleil s’élevant dans

le ciel, il commence à faire chaud, d’autant que nous sommes redescendus à de basses altitudes. Il

reste une bosse de 400 D+ à passer avant le gros ravitaillement de Vif, je me souviens d’un chemin

vraiment pas passionnant lors de la reconnaissance. Je reprends de nombreux coureurs, ce qui rend

la progression moins rébarbative. Parvenu à la crête, je sais qu’il ne me reste plus qu’à descendre

jusqu’à Vif. Je continue à doubler des concurrents semblant déjà marquer le coup, comme plombés

par la chaleur qui s’installe. Vif, fin du Vercors, me voilà. De nouveau, une portion de bitume

relativement longue jusqu’au ravitaillement situé sur un parking. Je sais que j’y retrouverai Ophélie

et Felix, mais aussi Quentin, Louis, Fanny et Boris.

 

CP3 : VIF

Le soleil tape fort sur ce parking sablonneux. Je pointe au ravitaillement, où beaucoup de supporters

sont présents. Pourtant, je ne vois pas les miens. Ni Ophélie et Felix, ni les 4 copains du gîte. Un coup

d’oeil au chrono : je suis nettement en avance par rapport à ce qui était prévu, il n’est même pas 11h

alors que j’avais planifié un passage autour de midi. Je me dis que c’est la raison de leur absence.

Tant pis, les voir m’aurait fait plaisir mais à ce stade de la course leur soutien est moins crucial que

dans quelques heures. J’ai décidé de m’octroyer 10 minutes durant lesquelles je mange, je bois

beaucoup et je m’étire. Une fois de plus, je vois les concurrents que j’ai doublés dans la dernière

bosse passer comme des éclairs au ravitaillement. Ils n’ont pourtant pas l’air au mieux et leur

stratégie m’interpelle. Je sympathise avec les bénévoles, profite à plein de mon arrêt pour recharger

les batteries.

Au moment de repartir, je sens les bienfaits de la pause et des étirements : je cours de nouveau avec

légèreté, et la suite s’annonce sous des auspices favorables.

 

VIF – LAFFREY : 13,6 km / 1 020 D+ / 413 D-

Grâce à la reconnaissance, je sais que le Taillefer sera un massif long et exigeant, avec plus de

3 000D+. D’abord une petite montée en sortie de Vif, avant de redescendre sur la route et de la

suivre un moment. Pour notre sécurité, une voie de circulation a carrément été neutralisée, et des

feux installés pour permettre alternativement la circulation des voitures dans l’un et l’autre sens sur

la voie restante. J’imagine les réflexions des automobilistes bloqués au feu, découvrant que la cause

de cet imprévu, loin d’être des travaux, est la présence d’un troupeau de forcenés qui courent à

travers la montagne curieusement harnachés.

Traversée de St-Georges-de-Commiers où je marche dans la montée. En haut du village, fin du

goudron, c’est parti pour la montée régulière du col de la Chal. Je reprends progressivement tous les

coureurs que j’avais déjà dépassés dans la bosse précédant Vif mais qui ont écourté leur pause au

ravitaillement. Comme quoi… L’un d’eux me fait une remarque « tu es parti sacrément vite dans la

descente vers Vif ! ». N’ayant pas eu l’impression d’accélérer particulièrement à cet endroit, je suis

assez surpris et lui réponds en esquivant : « c’était l’odeur du ravitaillement qui m’attirait ».

J’ai redoublé tous mes proches concurrents, me voici désormais seul dans cette montée régulière en

sous-bois. Arrivé à peu près à mi-pente, j’aperçois un coureur qui revient sur moi. Son dossard rouge

m’indique qu’il s’agit d’un relayeur. L’une des formules est effectivement un relais à 4 coureurs,

chacun traversant un massif. Celui-ci a donc pris son relais à Vif, rien d’inquiétant à ce qu’il me

double. Seulement, son visage m’est familier. Je ne tarde pas à reconnaître Nuno Caetano, ce qui ne

manque pas de me rappeler l’un de mes plus beaux souvenirs de course. Retour 3 ans plus tôt dans

la dernière descente du GRP, alors que je pointe 4ème avec peu d’avance sur le 5ème qui menace de me

rattraper :

« C’est à cet instant que se produit pour moi la plus invraisemblable surprise de la journée : toujours

préoccupé par mes rétroviseurs, qui me donnent des nouvelles plutôt rassurantes, je ne m’intéresse

pas trop aux coureurs que je rattrape, sans doute des concurrents de l’ultra qui en finissent. Tout à

coup, mon regard est cependant attiré par une silhouette noire plus loin sur la crête, qui semble aller

à un bon rythme – en tout cas supérieur à celui des pauvres coureurs de l’ultra qui commencent à être

véritablement exténués, ce qui est compréhensible après 150 kms de course … - mais tout de même

nettement inférieur au mien. Je crois y reconnaître Nuno. Je n’ose y croire, persuadé que j’étais que

les 3 premiers étaient totalement inaccessibles et qu’ils s’étaient envolés vers le podium. D’autant

plus que je n’ai pas franchement l’impression d’avoir tenu une allure d’enfer depuis Tournaboup. J’ai

tenu le coup et ai gardé une marche régulière, mais de là à revenir sur les meilleurs, franchement,

c’est étonnant. Plus je me rapproche et plus j’en suis sûr : je reconnais l’attelle préventive qu’il porte à

la cheville gauche, je reconnais ses chaussures, sa démarche. Plus de doute : le podium est là, devant

moi, et se rapproche à vive allure. Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, la pente s’accentue et

je cavale aussi vite que je peux dans ces estives. Tant et si bien que je me porte rapidement à hauteur

du pauvre Nuno qui, très fairplay, me lance en me voyant débarouler un « bon podium » franc et

généreux avec un vrai sourire. Je lui souhaite sincèrement bon courage, quasiment gêné que je suis de

le coiffer sur le poteau alors qu’il a passé une immense partie de la course à cette 3ème place. »

Revoilà donc Nuno, que je salue lorsqu’il se porte à ma hauteur, lui demandant s’il me reconnaît.

Non, je ne semble pas lui évoquer grand-chose. Je me charge alors de lui rafraîchir la mémoire, lui

expliquant qu’il est pour moi un souvenir plutôt heureux. Nous conversons, il m’explique qu’il vient

d’avoir un bébé, qu’il est toujours installé à Chamonix, mais surtout qu’il a un relais à faire avancer,

peu content de la performance du premier larron. Je le laisse donc s’envoler. Je découvrirai le

lendemain qu’il a parfaitement rempli sa mission puisque c’est son équipe qui s’est imposée ! Le col

de la Chal est désormais tout proche et je ne tarde pas à le franchir.

La descente qui suit est agréable et peu pentue, à travers des pâturages. Nous rejoignons de nouveau

du bitume pour filer vers Laffrey, emplacement du prochain ravitaillement. J’ai le plaisir de tomber

nez-à-nez avec Fanny, Boris et Louis venus à ma rencontre à quelques centaines de mètres du

ravitaillement. Je les vois pour la première fois de la journée, ce qui efface la déception d’avoir été

seul à Vif. Leurs encouragements et leur simple présence remontent le moral à bloc.

Arrivée au ravitaillement de Laffrey

 

CP4 : LAFFREY

Arrivé au ravitaillement, je découvre également Quentin et nous ne tardons pas à nous regrouper

tous les 5 pendant que je profite du buffet pour recharger les batteries. C’est agréable de discuter

avec eux, qui m’expliquent avoir été pris de court en voulant me voir à Vif. Peu importe, je suis

heureux de les avoir près de moi maintenant. Ils me permettent également de prendre de la

perspective sur la course en m’expliquant que 2 coureurs caracolent devant mais semblent déjà

considérablement entamés, ayant même de l’avance sur les premiers relayeurs ! Selon leurs dires, je

leur fais bonne impression et semble en forme par rapport aux coureurs qui m’entourent. C’est bon

signe, leur discours me rassure. Je prends conscience que j’ai déjà bouclé le tiers de la distance, et

que je suis effectivement plutôt frais. Seule inquiétude : pas de trace de ma soeur, pas plus qu’à Vif.

Aurait-elle eu un problème ? Il ne peut plus s’agir d’un simple problème de timing… Je me demande

ce qui lui arrive et croise les doigts pour pouvoir la revoir rapidement, son soutien et son assistance

étant essentiels sur la 2ème partie de course. Après avoir profité des copains auxquels je donne

rendez-vous au prochain ravitaillement, je repars l’esprit léger et les jambes reposées vers les

contreforts du Taillefer.

 

LAFFREY – LA MORTE : 11,6 km / 813 D+ / 349 D-

Encore une bonne portion de bitume, notamment une route en faux-plat montant où j’alterne

marche et course, constatant que je trottine sans difficulté lorsque je décide de le faire. Après un

hameau, un chemin qui traverse les champs où un couple pique-nique au soleil. Ils m’annoncent des

écarts : un coureur à 1 minute, un duo à moins de 5 minutes. Honnêtement, je m’en fiche

royalement. Je ne sais même pas vraiment à quelle place je pointe. Nuno m’a posé la question lors

de notre échange, je n’ai pu que lui répondre que j’étais vraisemblablement dans le top 20.

Avant que la vraie montée ne débute, je fais une pause technique derrière une haie, sans me presser.

Lorsque je repars, Philippe Guillemain me rejoint, lui avec qui j’ai échangé quelques mots juste avant

Laffrey. Il me demande si tout va bien, je lui explique qu’il s’agissait juste de perdre quelques

grammes avant d’attaquer la grimpette. C’est peu raide, sur une large piste, mais ça passe

relativement vite. D’une manière générale, je suis agréablement surpris par la vitesse à laquelle

passent toutes les sections qui m’avaient parues fastidieuses durant la reconnaissance. En étant

moins chargé, et dans une ambiance de course, j’ai souvent la bonne surprise de me dire « tiens,

déjà ! ». Passage à un petit col où on continue de monter dans la forêt. Je double un coureur au Tshirt

marron peu avant de trouver, sur le bord du chemin, quelqu’un qui m’annonce le point haut à

quelques centaines de mètres. Effectivement, je ne tarde pas à basculer sur un chemin à flanc en

légère descente sur lequel je peux de nouveau courir. Le cheminement en balcon dure ainsi jusqu’à

proximité de la station de l’Alpe du Grand Serre. Je sais, grâce à la reconnaissance du parcours,

qu’une remontée par une piste de ski m’attend avant de descendre définitivement sur le

ravitaillement. Une sorte de montée gratuite qu’il est bon d’avoir en tête pour l’accepter sans

broncher. Excellente surprise en arrivant à son pied : je croise Fanny, qui court sur le chemin pour

tester ses nouvelles chaussures ! Comment ça, nouvelles chaussures ? Fanny court la demi-boucle le

lendemain, 80 km de montagne, et le tout avec de nouvelles

chaussures ? Ben oui, ça ne paraît pas l’inquiéter. Bon, j’ai

confiance en la bête, elle sait ce qu’elle fait. Nous discutons

un peu avant qu’elle ne reparte vers le ravitaillement en

courant dans la montée. « Calme-toi Fanny, garde du jus

pour demain !!! ». « Je cours jusqu’au ravitaillement, après

les autres m’ont interdit de continuer ». Quels

tortionnaires ! Interdire à Fanny de courir… Elle ne tarde pas

à disparaître au loin. Je monte pour ma part en marchant,

avec un concurrent en point de mire. Parvenu en haut, je

sais qu’il ne reste plus qu’à dégringoler vers le

ravitaillement. Je passe au milieu de mes supporters

(Quentin, Boris et Louis accompagnent Fanny), poursuis la

descente, traverse un champ où j’aperçois au loin Ophélie et

Felix, rejoins les bâtiments et pointe au moment d’entrer

dans la salle du ravitaillement.

 

CP5 : LA MORTE

Je suis heureux de retrouver ma soeur, qui n’a donc pas perdu complètement ma trace ! Elle est

même passée m’acheter des gobelets pour compenser la perte de mon éco-tasse ! Par ailleurs, elle

est pleine d’attentions, particulièrement inquiète de la quantité de nourriture que j’ingurgite. Elle a

l’air de craindre que je ne mange pas assez, sans doute échaudée par mon hypoglycémie de l’Origole.

D’autant plus que ce qui m’attend a de quoi mériter quelques forces supplémentaires : une montée

raide jusqu’au point culminant de notre passage dans le Taillefer, 1 000 mètres plus haut. Je n’ai pas

particulièrement faim, et sur les conseils de Quentin je découvre le bonheur des quartiers d’orange,

qui ont de plus l’avantage d’avoir été parfaitement préparés. Autour de moi, 2 concurrents : celui

que j’avais en point de mire dans la dernière montée et le T-shirt marron que j’avais doublé un peu

plus tôt. Je regarde son dossard et découvre qu’il est anglais, ce qui explique son mutisme lorsque je

l’avais poliment salué en passant à sa hauteur. Ils repartent tous 2 avant moi, une fois de plus… Je

profite de mes supporters, c’est notamment la dernière fois que je verrai Fanny, Boris et Louis :

Fanny et Louis courent demain à 5h et doivent retirer leurs dossards à Grenoble, et Boris les

accompagnera. Il me restera ma fidèle soeur avec Felix, ainsi que Quentin, qui essaiera de faire la

navette pour suivre les deux courses.

 

LA MORTE – CHALETS DE BARRIERE : 14 km / 1 368 D+ / 878 D-

Me sentant restauré, reposé et ressourcé, je décide d’aller affronter la première vraie montée raide

du parcours. Quelques foulées jusqu’au pied du sentier, puis je marche. Je double assez vite

Guillaume Porche, le concurrent arrivé juste avant moi au ravitaillement. Le sentier fait place,

pendant une dizaine de minutes, à une large piste peu pentue. J’aperçois Edward, l’Anglais, qui

relance en petites foulées. Guillaume fait de même et me double. Je reste sagement en marche

rapide, sachant ce qui m’attend une fois cette section terminée. J’assimile ainsi le ravitaillement, et je

ménage mes jambes.

Lorsque la piste fait place au petit sentier qui grimpe, je me rends compte que je rejoins

progressivement mes deux collègues. Derrière, un relayeur revient également sur nous. Finalement,

nous nous regroupons à 4 à mi-montée. J’envisage alors de passer devant, puisque j’ai rattrapé la

troupe, et j’imagine que le relayeur va faire de même. Pourtant, je me rends compte assez vite que le

rythme imprimé par Edward est élevé et je change de décision. Derrière, le relayeur ne semble pas

s’impatienter particulièrement non plus. Nous voici donc à la queue-leu-leu, en silence, concentrés

sur notre effort dans cette pente bien raide. Guillaume, en 2ème position, fait une pause et je me

retrouve derrière Edward. Je suis impressionné par son rythme car il n’a pas de bâtons. Je lutte pour

suivre et je constate que le relayeur est décroché. C’est dire… Notre groupe se scinde en deux duos

et je continue à m’accrocher pour suivre Edward, lequel pousse à intervalles irréguliers des

grognements qui m’interpellent. C’est long, c’est dur, pour la première fois de la course je sens que

je fais un vrai effort. Par moments, je ne cherche pas à suivre mon lièvre et je me laisse décrocher

pour poursuivre à mon rythme. Pourtant, je recolle toujours à la faveur d’une section moins raide.

C’est ainsi que nous parvenons au sommet, moi commençant à me sentir éprouvé, Edward ne

semblant pas marquer le coup si je passe outre ses étranges grognements. Au vu de mon état, je suis

persuadé qu’il va faire une pause en haut, avant d’attaquer la descente sur le lac de Brouffier.

Tu penses ! Le gaillard ne semble même pas remarquer que nous partons dans la descente, ne feins

même pas de vouloir respirer 2 secondes et s’engage sur la crête sans broncher ! Diable ! J’hésite sur

la décision à prendre. Il reste presque 100 km, soyons raisonnable : je m’arrête le temps de boire et

d’ingurgiter quelques abricots secs issus de ma poche gauche qui, depuis Vif, me sert de réserve

alimentaire. Je regarde le paysage, avant de me lancer dans la descente au moment où Guillaume et

le relayeur pointent le bout de leur nez.

Curieusement, Edward descend doucement, semblant se ravitailler tout en avançant. Par

conséquent, je ne tarde pas à le doubler. Un court passage rocailleux où il faut être prudent et je

descends rapidement sur le lac de Brouffier. En passant sous la cabane, une jeune fille vient vers moi.

Je sais que la soeur d’Esther (Esther faisait partie du groupe de 5 lors de la reconnaissance UTMB) est

secouriste à cet endroit. Je lui demande donc si c’est elle, elle me répond par l’affirmative. Je me

présente avant de poursuivre ma route. Dans mon dos, j’entends toute la troupe des secouristes

lancer des « Alleeeeeeez Fabriiiiiice » !! Elle a passé le mot en retournant à la cabane, et leurs

encouragements me font plaisir.

Il faut remonter un peu, je suis agréablement surpris de constater que l’effort assez violent de la

montée précédente semble être assimilé alors que j’avais eu l’impression d’être bien entamé en

passant au point haut. Tant mieux. Très vite, ça descend de nouveau, une descente où il faut que je

sois assez prudent car caillouteuse et potentiellement dangereuse pour ma cheville. Je double une

famille qui court : 2 fillettes et leur mère qui cavalent dans une descente, c’est peu commun ! Je me

rends compte que le père les accompagne, et porte un dossard. Je n’ai pas le temps de voir la

couleur de son dossard, mais j’imagine qu’il s’agit d’un relayeur. Vraisemblablement, sa famille est

venue l’attendre au lac de Brouffier et s’amuse à l’accompagner en courant sur quelques kilomètres

pour lui tenir compagnie. La fin de la descente est très périlleuse pour ma cheville et j’y vais

particulièrement précautionneusement. Le relayeur qui nous avait accompagnés dans la rude

montée me dépasse enfin. Je prends pied sur une route, quittée peu après au profit d’un chemin qui

ondule dans la forêt. Je cours sans me forcer, tout va bien. La facilité que j’ai à relancer à cet endroit

du parcours me surprend, c’est bon signe pour la suite. Je croise quelqu’un qui m’annonce 4ème avec

la 3ème place à portée de fusil. Et pour cause, je ne tarde pas à découvrir devant moi un coureur que

je rejoins progressivement. Pour la première fois de la course, je sais précisément à quelle place je

pointe. Je suis un peu surpris d’être aussi bien classé, même si je suis moi-même assez impressionné

de la façon dont se déroule ma course pour le moment. J’espère juste ne pas avoir trop forcé dans la

montée du Taillefer, et je regrette un peu d’avoir tant appuyé pour suivre Edward. Pourvu que je

n’aie pas à le payer dans quelques kilomètres…

Je rejoins et double Jean-Marc Durand, qui est souriant. Le ravitaillement du lac Poursollet est

proche, m’y voici peu avant Jean-Marc. Je l’entends dire qu’il a un coup de moins bien, qu’il doit

manger. Plusieurs personnes sont là pour s’occuper de lui, il n’accorde d’ailleurs que peu

d’importance à la table du ravitaillement. Il râle contre la balise GPS qui a été rajoutée dans les sacs

des premiers à la Morte, prétextant qu’elle le gêne. J’ai également récupéré une balise, mais

l’emplacement que je lui ai trouvé ne me pose pas de problème. Tant mieux. Je mange, bois, discute

avec les bénévoles et repars en direction de la base vie de mi-course.

Pour la rejoindre, il faut d’abord remonter une piste jusqu’aux chalets de Barrière. Une fois de plus,

je trottine sans mal. Je me souviens de la reconnaissance, durant laquelle je m’étais demandé en

passant à cet endroit s’il était crédible de penser que je pourrais courir dans ce faux-plat montant

après 75 km de course. Visiblement, oui, et ça ne me demande pas un effort surhumain. Dès que j’ai

l’impression de forcer, je me remets à marcher. J’alterne ainsi en gérant au mieux mon effort

jusqu’aux chalets, ce qui me permet de rattraper, au moment de pointer, le concurrent qui me

précède : Charles Sroczynski. Lui, je le connais, c’est même l’un des favoris logiques de la course. Le

fait de le rattraper après 80 km de course et sans avoir particulièrement forcé est quand même

sacrément bon signe ! D’autant que je sais qu’il est 2ème… Je le laisse s’engager dans la descente

brutale qui nous mènera au ravitaillement, préférant me soulager la vessie pour souffler avant de

m’y lancer également avec toute l’attention nécessaire pour conserver ma cheville.

 

CHALETS DE BARRIERE – RIOUPEROUX : 4,9 km / 13 D+ / 1 338 D-

C’est parti, descente exigeante, longue, raide, caillouteuse, demandant beaucoup d’attention,

sollicitant particulièrement les cuisses. Je double Charles assez vite, qui s’écarte gentiment pour me

laisser passer. Il m’avouera le surlendemain s’être alors fait la réflexion suivante : « Vas-y mon gars,

crame-toi dans cette descente, je m’occuperai de toi dans quelques kilomètres ! ». Honnêtement, je

ne force pas ma descente, j’essaie de rester souple et tout en contrôle pour éviter tout faux

mouvement du pied droit. Je suis donc 2ème de l’UT4M à mi-parcours. Cette position m’étonne mais

ne m’effraie pas car je suis persuadé d’avoir bien géré la course pour le moment, sans compromettre

mes chances d’aller au bout. Cette descente en sous-bois est interminable, elle ne tolère aucun répit,

j’ai hâte d’en finir. Je me souviens d’une source captée repérée lors de la reconnaissance, et

lorsqu’enfin je passe à côté, je sais que la délivrance est proche. Je me force à redoubler de vigilance

jusqu’à la route que j’atteins enfin. Hameau des Clots, chemin pour couper le lacet de la route,

j’aperçois dans le fond de la vallée le village où est installée la base vie. En arrivant sur la route

principale, j’ai le plaisir de découvrir Ophélie, sans Felix (rentré se reposer, ce qui se comprend mais

montre également les efforts consentis par ma soeur pour rester à mes côtés), qui me reproche

quasiment de la saluer au détriment de la concentration que je dois conserver pour préserver au

maximum ma cheville dans ces derniers hectomètres. L’engagement, la passion qu’elle met dans

mon assistance me touche. Encore un peu de bitume, un pont à traverser, une remontée jusqu’au

centre du village, me voici à la base vie. Ma soeur a suivi en courant et arrive dans la foulée, prête à

s’occuper de moi.

 

CP7 : RIOUPEROUX

J’ai une idée en tête depuis quelques kilomètres : prendre une douche ! Je demande immédiatement

aux bénévoles présents si c’est possible, on me répond que oui. Je me saisis d’affaires de rechange,

d’une serviette et d’un savon que j’avais déposés préventivement dans le sac confié à ma soeur et je

suis la bénévole qui m’amène dans une pièce où se trouve un grand bac du type de ce qu’on pourrait

trouver pour laver la vaisselle, accompagné d’un flexible orné d’un pommeau de douche. Original

mais parfait. L’eau est froide, pas glacée, c’est idéal. En quelques minutes, cette douche me revigore,

me débarrasse de toute la sueur amassée, régénère mes jambes, me rafraîchit. Je me sens en pleine

forme en sortant de là, après avoir enfilé des affaires propres. Quel bonheur !

Je retrouve Ophélie qui m’a procuré un bol de pâtes et un autre de soupe. Je les avale sans difficulté,

assis à ses côtés sur un banc dans le préau de l’école qui accueille la base vie. Il y a du monde ici, dans

la cour de récréation notamment. Jean-Marc, Charles et un autre concurrent qui est Michel Chifflot

arrivent ensemble. Je prends mon temps, m’étire, me prends au jeu de l’interview de mi-course

réalisée par ma soeur avec son appareil photo. Je suis bien ici, presque trop. Jean-Marc puis Michel

repartent. Il va falloir que j’y aille, malheureusement. Je m’arrache au confort de ce ravitaillement,

au réconfort de ma soeur. Il faut y retourner, partir affronter Belledonne où la nuit va bientôt me

rattraper. Autant j’étais agréablement surpris de découvrir que j’étais déjà au tiers de la course à

Laffrey, autant c’est assez effrayant de me dire que je ne suis qu’à mi-course ici. Même si je sais que

j’ai fait plus de la moitié du dénivelé.

 

RIOUPEROUX – L’ARSELLE : 3,5 km / 1 072 D+ / 0 D-

Je remets mon sac et repars sous les acclamations des personnes présentes. Ophélie m’accompagne

sur quelques mètres. J’ai une sensation étrange de fatigue. Non pas physique, car la douche m’a fait

beaucoup de bien aux pattes, mais psychique. J’ai envie de m’allonger et de dormir et j’en fais part à

Ophélie. Elle me remotive, je cherche à ne pas m’inquiéter mais cette sensation ne me rassure pas

quand je sais ce qui m’attend. Est-ce le contrecoup de la douche qui fait que je suis trop zen ? J’ai

comme un engourdissement de la tête. Si je le pouvais, je m’allongerais dans l’herbe pour

m’endormir. Mais je ne peux pas, évidemment. Je n’ai pas le droit. Pourvu que ça passe.

Je quitte Ophélie pour emprunter le chemin qui s’engage dans la forêt vers la gauche. Face à moi, la

montée qui fera la légende de cet UT4M dans quelques années : la montée de l’Arselle. En étudiant

les cartes au 1/25 000ème utilisées pour la reconnaissance avec Quentin, nous nous étions fait la

réflexion que jamais nous n’avions vu un chemin couper des courbes de niveau aussi resserrées. Et

pour cause : au départ du chemin, un panneau jaune indique le plateau de l’Arselle à 3,2 km. Sur

cette distance, il faut s’élever de 1 100 mètres. Une pente à faire frémir tous les mollets de France et

de Navarre, a fortiori après 85 km de course… Les fidèles bâtons d’Esther sont heureusement là pour

m’aider dans cette épreuve. Je m’engage avec humilité dans les premiers lacets, pensant aux

coureurs du 80 km qui débuteront leur course par ici demain matin.

J’ai toujours cette désagréable sensation de sommeil dont j’essaye de m’extraire en activant mes

pensées. Musculairement, les voyants sont au vert et je ne tarde pas à doubler puis distancer Michel

Chifflot, tout en essayant de ne pas forcer sur la mécanique. Un sauveteur est posté au premier quart

de la montée, sans doute pour vérifier que personne ne meurt face à la pente. C’est dur mais je vais

bien. La forêt est calme, je distingue de temps en temps la casquette orange de Michel quelques

lacets plus bas. Occupé à me défaire de mes envies de sommeil, je ne réfléchis que peu à la montée.

Jusqu’à apercevoir Jean-Marc que je semble rattraper. C’est cette perspective qui marquera la fin de

mes symptômes d’endormissement. La course reprenant ses droits, le cerveau s’active de nouveau et

son envie de s’évader chez Morphée disparaît. Je rejoins Jean-Marc aux deux tiers de la montée, il

me propose de passer. Je préfère rester sagement derrière lui et l’en informe. Il reste donc devant, et

c’est ainsi que nous poursuivons notre laborieuse progression. De nouveau un sauveteur. Il nous

annonce en tête de course. Je sais que ce n’est pas vrai puisqu’un coureur était devant moi à

Rioupéroux, sans doute avec pas mal d’avance d’ailleurs car il est probablement reparti de la base vie

avant que j’y arrive. Le sauveteur décide de faire un bout de la montée avec nous pour regagner son

poste, qu’il avait quitté pour des raisons inexpliquées. Jean-Marc insiste pour que je passe en tête, ce

que je fais, le sauveteur dans ma roue. Je prends donc quelques mètre d’avance, perds mon

compagnon parvenu à son poste et poursuis mon chemin. Quelques mètres plus loin, encore un

sauveteur ! Décidément, ils sont inquiets sur les conséquences de cette montée ! Ce que je

comprends car je suis arc-bouté sur mes bâtons, ce qui ne m’empêche pas de lutter pour avancer en

divers endroits, mes pieds glissant dans la pente. Surprise, ce sauveteur m’annonce lui aussi en tête.

Je commence à me dire que c’est peut-être vrai. D’un autre côté, ça me semble irréaliste d’ouvrir

l’UT4M après plus de 85 km. Il doit y avoir erreur.

Je reconnais le passage sur les rochers qui marque la quasi-fin de cette épreuve. Un dernier effort, les

cuisses chauffent très fort, mais enfin je prends pied sur le plateau de l’Arselle. Quel contraste !

Après cette falaise, un vaste plateau parsemé de sapins. Quel bonheur de pouvoir courir sans

contrainte dans cette herbe moelleuse ! Sauf que… L’effort a été trop violent pour les cuisses. Je suis

saisi de violentes crampes aux 2 jambes, juste au-dessus du genou. Je cherche à continuer, pensant

que ça va passer comme je l’ai toujours vécu. En approchant d’une tente où plusieurs bénévoles

attendent les coureurs, je dois me rendre à l’évidence : ces crampes m’empêchent d’aller plus loin. Je

m’arrête donc pour m’étirer et me masser les cuisses. C’est la première fois que ça m’arrive en

course. Curieusement, je me rends compte qu’à l’inverse mes mollets sont encore parfaitement frais.

Alors que je cherche à régénérer mes cuisses, Jean-Marc et Michel passent au poste de pointage,

accompagnés d’un relayeur. Michel a donc fait la montée dans mon sillon, et la lutte va être rude !

 

L’ARSELLE – CROIX DE CHAMROUSSE : 5,3 km / 643 D+ / 8 D-

Je ne les imaginais pas si proches, tant pis. J’ai la présence d’esprit de me dire qu’il peut être utile

d’utiliser leur petit train. De plus, le massage vigoureux que je me suis prodigué a été bénéfique pour

mes cuisses. Je pointe donc à mon tour et prends leur suite avec quelques mètres de retard. Il faut

maintenant remonter tranquillement jusqu’au col de l’Infernet. Chemin peu pentu, qui m’avait

semblé assez long lors de la reconnaissance. Mes trois collègues semblent plus frais de moi. Je suis

décroché et je marche là où ils courent. Lorsque la pente s’accentue, je parviens pourtant à recoller

contre toute attente. Je décide de ne pas chercher à les suivre à tout prix. Assailli par les crampes

comme je l’ai été, il ne faut surtout pas que je force. Tant pis si je lâche ce trio de tête, complété par

un relayeur qui semble satisfait du rythme proposé. Je fais donc le yoyo derrière, entre 5 et 50

mètres selon la configuration du terrain. Mais rien n’y fait, ils ne parviennent pas à se débarrasser de

moi… La nuit commence à tomber, il fait sombre. En passant à proximité des lacs Achard, je tombe

alors que le chemin ne le justifie absolument pas. Plus de peur que de mal, comme je l’explique au

relayeur qui a la bonté de se retourner pour prendre de mes nouvelles, mais c’est inquiétant. Rien

d’autre que la fatigue peut expliquer ce qu’il vient de se passer. J’ai peur pour ma cheville, j’ai peur

de craquer maintenant. Même si, objectivement, quand j’écoute mon corps, je ne me sens pas

particulièrement fatigué. Même les cuisses, que je cherche à ménager en minimisant les hautes

marches à grimper, semblent aller mieux. Je ne sais donc pas trop où j’en suis, entre des sensations

correctes et des signes extérieurs de fatigue assez évidents qui doivent donner l’impression à mes 2

concurrents que je suis au bout du rouleau…

Toujours est-il que sans en avoir la volonté, je parviens à rester au contact du groupe. Arrivé au col

de l’Infernet, Jean-Marc fait une pause pour boire. Les deux autres semblent l’attendre et j’hésite sur

la marche à suivre, ne voulant pas les froisser. Persuadé d’être le moins fort des 4, je choisis de

poursuivre mon chemin. Ils ne tarderont de toute façon pas à me rejoindre. Tant pis si je fais un geste

qui sera mal interprété en n’attendant pas Jean-Marc. Je vois Michel et le relayeur m’emboîter le

pas. Jean-Marc ne tarde pas non plus à repartir. Une courte descente, nous traversons une cuvette

jonchée de lacs et attaquons la montée à la Croix de Chamrousse par le col des Trois Fontaines. Je

suis toujours en tête, et je me sens bien dans la montée. Je prends donc un peu d’avance et pointe

en 1ère position au ravitaillement de la Croix de Chamrousse. Voilà, pointer 1er à un ravitaillement sur

un ultra, c’est fait. C’est ce que je me dis intérieurement : ça aurait dû arriver au pointage précédent,

mais je n’avais pas compris que la tente installée était un poste de pointage. Sans quoi j’aurais

repoussé les étirements de 50 mètres pour le prestige d’un pointage en 1ère position.

 

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